Ressentir les effets des barbaries
Considérons, non seulement les effets humanitaires, individuels, mais aussi familiaux et intergénérationnels.
Plus jamais d'Auschwitz
Simone LAGRANGE avec sa poupée et sa famille
Préambule
Déportée à l'âge de treize ans, Simone LAGRANGE est une survivante d'Auschwitz-Birkenau et l'un des témoins majeurs du procès BARBIE.
Dans son ouvrage "Coupable d'être née", elle raconte de façon saisissante son arrestation, sa déportation et ses mois de détention dans les camps d'extermination nazis, où les tortionnaires infligèrent une mort atroce à ses parents.
Le film "Moi, petite fille de treize ans", a mis en scène ce récit bouleversant.
L'expérience intime qui est au cœur de tout témoignage de déporté, dans sa subjectivité même, fait de chaque témoin le porteur d'une parole irremplaçable.
Celle de Simone LAGRANGE est empreinte de vigueur, de révolte et de ténacité, et la singularité de son témoignage nous confronte à la question insoutenable de l'inhumanité d'Auschwitz comme à celle de l'énergie vitale du sujet qui maintient l'humanité.
"Les survivants disparaissent, leurs témoignages s'effacent avec eux, mais j'ai pourtant encore tant de choses à vous léguer, à vous qui m'entendez, tant de choses qui, je l'espère, pourront peut-être vous servir à préserver la paix dont le monde a tellement besoin.
Transmettre la mémoire reste mon espérance, dans un monde que je souhaite meilleur pour les générations à venir.
Ce témoignage est écrit pour que vous puissiez préserver votre avenir. Faites, je vous en prie, tout ce que vous pouvez pour que plus personne n'ait à revivre ce drame insensé, pour qu'il n'y ait : PLUS JAMAIS D'AUSCHWITZ."
Poème
Jeta la fille à terre.
Il voulait l'obliger, par ses coups redoublés,
A dénoncer ses frères.
Là-bas, en Normandie, l'implacable ennemi
Se tenait embusqué
A l'abri des bunkers, tout en attendant l'heure
De l'assaut allié.
Pourquoi fallut-il donc qu'en ce jour le plus long
Porteur de tant d'espoir
Et de libération, vînt la déportation
Vers les fours crématoires ?
Au corps meurtri
Connut l'enfer et l'épouvante
Des camps nazis.
Par wagons entiers, les martyrisés,
De l'ombre surgis,
Frappés de stupeur, découvraient l'horreur,
La funeste orgie.
Où arriva Simone.
Ses compagnes, harassées, vacillaient et tombaient
Comme feuilles en automne.
L'infecte nourriture - margarine et pain dur -
Avait un goût amer,
Et son cœur se brisa, sa révolte explosa
Quand on brûla sa mère.
Journée après journée fumaient les cheminées,
Hallucinant spectacle !
Périssaient nuit et jour des humains dans les fours,
Répugnants réceptacles !
Femmes perdues,
Mourantes hier, demain cadavres,
Les voyais-tu,
Toi, le fier aryen, suppôt hitlérien
Du cruel régime
Qui fit couler tant de boue et de sang,
Commit tant de crimes ?
Alors que Mengele, tel le diable incarné,
Brûlait les enfants, vifs,
Ses sbires accentuaient leur ferme volonté
D'exterminer les Juifs.
Tous s'étaient entendus pour que fût étendu
L'engrenage fatal,
Finir vaille que vaille cet odieux travail :
La solution finale.
Voyant les Alliés vers Auschwitz avancer
Et durcir leur action,
Les officiers nazis ordonnèrent
Aussitôt l'évacuation.
Puis l'on se lança sur les routes
De Lucifer,
La débandade, la déroute,
Nouvel enfer !
C'est sur ce chemin que Simone, enfin,
Revit son papa
Qu'un officier fou fit mettre à genoux
Et assassina.
Le retour au pays, malgré ce qu'on en dit,
Ne fut pas très facile.
Il fallut des années avant de retrouver
Un destin plus tranquille.
Avec le temps, la vie reprit ses droits. Et puis
Remonta le moral,
Jusqu'à ce qu'un matin, sinistre écho lointain,
Réapparut le mal
Venant de Bolivie. Il s'appelait Barbie,
Le bourreau de jadis.
Pour Simone ce fut un grand combat de plus
Avant que tout finisse…
Au procès, de toute son âme,
Elle lutta,
Redoutant qu'un verdict infâme
Ne l'acquittât.
Mais ce scélérat jamais ne sera
Réhabilité.
L'ampleur de ses crimes lui ôte l'estime
De l'humanité.
Jean-Michel AUXIÈTRE
Vous n'aurez pas ma haine
Marche républicaine à Paris (2015)
Préambule
90 morts au Bataclan à Paris. Attentat terroriste, 13 novembre 2015.
Une lumineuse et sobre leçon de résistance !
« Non, je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr… », déclare Antoine LEIRIS à l’adresse des bourreaux et assassins d’Hélène, son épouse, mère de leur tout jeune enfant, Melvil.
L’avant-veille, Hélène est morte au Bataclan sous les balles de terroristes fanatiques et barbares.
Une violence impensable est venue fracasser la sereine vie familiale… Antoine LEIRIS invente un chemin de résistance à la haine, reléguant les assassins au rang d’« âmes mortes », sans aucun droit à une quelconque place dans sa vie ni dans celle de Melvil.
Publiée dans le quotidien le Monde trois jours après la tragédie, la lettre d’Antoine LEIRIS à l’adresse des criminels, « Vous n’aurez pas ma haine », puis l’ouvrage éponyme quelques mois plus tard, témoignent d’un esprit de résistance exceptionnelle à la haine.
Musique composée par les collégiens de Françoise-Dolto
Texte
Vous n’aurez pas ma haine
Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore.
Je l’ai vue ce matin. Enfin, après des nuits et des jours d’attente. Elle était aussi belle que lorsqu’elle est partie ce vendredi soir, aussi belle que lorsque j’en suis tombé éperdument amoureux il y a plus de 12 ans. Bien sûr je suis dévasté par le chagrin, je vous concède cette petite victoire, mais elle sera de courte durée. Je sais qu’elle nous accompagnera chaque jour et que nous nous retrouverons dans ce paradis des âmes libres auquel vous n’aurez jamais accès.
Nous sommes deux, mon fils et moi, mais nous sommes plus forts que toutes les armées du monde. Je n’ai d’ailleurs pas plus de temps à vous consacrer, je dois rejoindre Melvil qui se réveille de sa sieste. Il a 17 mois à peine, il va manger son goûter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours et toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. Car non, vous n’aurez pas sa haine non plus.
Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce Dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a faits à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.
A mon père
Jean-Michel AUXIÈTRE au côté de son père
Préambule
Beaucoup d'entre nous furent marqués par les guerres, à quelque titre que ce soit, et il n'est pas une famille qui n'ait eu à souffrir des malheurs qu'elles entraînent. Jean-Michel AUXIÈTRE, nous parle de son père qui, dans les sombres années quarante, fut prisonnier en Allemagne.
"Mon père resta quatre ans en captivité et les privations, la malnutrition, la précarité de l'hébergement et la rudesse des travaux vinrent à bout de sa résistance. Tombé gravement malade, hospitalisé à Berlin et opéré sous les bombardements dans des conditions extrêmes, il revint très diminué, physiquement et moralement. J'avais à peine un an lorsqu'il fut mobilisé et, quand il rentra d'Allemagne, je ne le reconnus pas. Cet hommage lui est dédié."
Poème
Quand papa s'en alla-t-en guerre
Je n'avais pas un an,
Aussi ne vis-je point ma mère
L'étreindre tendrement.
Quand il en revint, squelettique,
Pitoyable soldat,
Emportée par un mal inique,
Maman partait déjà.
La nuit qui tombe…
Des flots de bombes
Furieusement s'abattent sur Berlin.
Des éclats volent,
Des gens s'affolent
Dans l’hôpital où mon père s'éteint.
Fait prisonnier en l'an quarante
Et bientôt affecté
D'une pleurésie purulente,
Il perdit la santé.
S'accumulèrent les déboires
Du combattant captif.
On dut, c'est une triste histoire,
Tailler ses chairs à vif.
Les Russes attaquent,
Tout croule et craque,
Berlin n'est plus que ruines et gravats.
Sous les décombres,
Dans un coin sombre,
Un chirurgien rend la vie à papa.
Sur la capitale allemande
Cesse la pluie d'acier.
Les derniers tirailleurs se rendent,
Berlin vient de tomber.
Au fond d'une cave putride,
Au milieu des débris,
En préparant des sulfamides,
Un médecin sourit.
Un ange passe
Sur la carcasse
Du prisonnier de guerre miraculé.
Dans l'aube grise
On fraternise
En évacuant blessés et mutilés.
Dans le dos, un vaste cratère,
Brisé, n'en pouvant plus,
Ainsi est revenu mon père,
Mais il est revenu.
Je dus apprendre à le connaître,
Tout en pleurant maman,
De mon mieux l'aider à renaître,
A vaincre ses tourments.
Mêlant blessures
Et déchirures
(Ils étaient trois, ils ne sont plus que deux),
Dans la lumière
Du jour, un père
Et son enfant s'efforcent d'être heureux.
La vie, l'amour, la mort, la guerre,
Les ont touchés et s'imposent à eux.
Jean-Michel AUXIÈTRE