Résister à "l'esprit de guerre"

L'esprit de résistance, de rébellion, et de désobéissance

Novembre 1943, Grenoble

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Explosion de la caserne de Bonne (Grenoble)

Préambule

Le 5 novembre 1944, la Croix de la Libération fut remise à la ville de Grenoble par le général De GAULLE. Michel DESTOT, qui a été député-maire de Grenoble, nous lit un extrait du discours :
 
" Grenoble aujourd'hui libérée, quels malheurs, quelles épreuves – non point seulement matérielles mais morales – cette grande ville a-t-elle traversés ? Grenoble a supporté tout cela mais Grenoble, à aucun moment, n'a renoncé à soi-même, n'a renoncé à la liberté, à l'espérance, à la Patrie. Aussi, dès qu'elle le put, Grenoble, par ses propres moyens, est apparue libre, au grand soleil, pour se rendre elle-même à la France comme la France voulait qu'elle fût, c'est à dire fière et lavée de l'ennemi. C'est pour ces raisons que le Gouvernement de la République a décidé, dès la fin de l'année 1943, de décerner à la ville de Grenoble le titre et la qualité éminente des Compagnons de la Libération dont l'insigne lui sera remis tout à l'heure. "

Poème

Le 11 novembre 1943, à Grenoble, en pleine occupation allemande, une importante manifestation célèbre, contre l'avis de différentes autorités, le 25ème anniversaire de la victoire de 1918…
 
Le lent cortège défile
Et se répand dans la ville,
Près de deux milliers de manifestants
Viennent braver l'occupant.
Ils accentuent le malaise
En chantant "La Marseillaise",
Affirmant leur incroyable défi
Sous le nez de l'ennemi.
 
Novembre quarante-trois,
Résistance intense,
Grenoble est debout !
Novembre quarante-trois,
Elan d'espérance
D'un avenir fou.
Dans la tourmente
Et l'épouvante,
Pour les victimes
S'ouvre l'abîme.
Novembre quarante-trois,
Mois teinté de rouge,
De sang grenoblois.
 
Environ 600 personnes sont arrêtées par les Allemands. 369 hommes sont déportés le 13 novembre vers les camps de concentration. 221 y laisseront leur vie…

L'étau nazi se resserre,
L'aigle englobe dans ses serres
Tous ceux qui ont osé lui faire front :
Il faut laver cet affront !
On malmène les cohortes,
On arrête et on déporte,
L'horreur des camps se profile déjà,
Beaucoup n'en reviendront pas.

La Saint-Barthélemy grenobloise est une série d'arrestations et de crimes perpétrés du 25 au 29 novembre 1943 par une équipe de miliciens lyonnais, à l'encontre des principaux responsables de la Résistance à Grenoble…

Dans un élan que ravive
Cette fureur répressive
Les collabos frappent ici et là,
Pleuvent les assassinats.
Impitoyable est la lutte,
On torture, on exécute,
Les Résistants paient un très lourd tribut,
Mais ne seront pas vaincus.
 
Six mois plus tard, le 4 mai 1944, le général De GAULLE signe le décret décernant à la ville de Grenoble la Croix de la Libération…

Ils se sont couverts de gloire
Et sont entrés dans l'Histoire,
Souvenir aujourd'hui acheminé
Au-delà du Dauphiné.
Combattants discrets et nobles,
Ils ont valu à Grenoble
En raison de leur remarquable action
Cette haute distinction.
 
Novembre quarante-trois,
Résistance intense,
Grenoble est debout !
Novembre quarante-trois,
Elan d'espérance,
Liberté au bout !
Instants magiques,
C'est fantastique,
Vraie récompense,
Renaît la France !
Novembre quarante-trois,
Honneur au mois rouge,
Au sang grenoblois.

  
Jean-Michel AUXIÈTRE
 

Immigrés dans la Résistance en Creuse

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Monument aux morts, Combeauvert (23)

Préambule

La Résistance porte en elle des valeurs universelles dont témoigne la place décisive des étrangers dans la lutte contre l'oppression nazie et fasciste. Beaucoup de ces immigrés qui vivent en France en 1940 sont des réfugiés qui ont fui les régimes autoritaires et racistes de l'Europe, et sont d'autant plus disposés à les combattre.

Figure incontournable de la Résistance dans notre département, Marc PARROTIN a composé un poème en hommage à ceux qui ont combattu en Creuse.

Poème

Ils sont venus chez nous, chassés par la misère
ou par de grands dangers dus à leurs convictions ;
Ils ont fui leur pays, le fascisme et la guerre
et se sont établis au cœur de la Nation.
 
Ils étaient Juifs roumains ou mineurs de Pologne,
ou pauvres paysans et carriers italiens,
ou combattants républicains de Catalogne,
réfugiés de Serbie, exilés autrichiens.
 
Ils ont travaillé dur, en carrière, à l’usine,
pour gagner chaque jour le pain de leurs enfants.
Par un labeur ingrat, à la terre ou la mine,
ils se sont intégrés dans un peuple accueillant.
 
Quand l’Orage a fondu sur la France, en quarante,
ils se sont engagés, nombreux, dans la Légion ;
puis, après la débâcle, en la Grande Tourmente,
ils ont subi la traque et la persécution.
 
Mais, par milliers, ils ont rejoint la Résistance
et connu la prison et la Déportation,
les combats du Maquis, de Paris, de Provence,
et, pour les survivants, notre Libération.
 
En Creuse, ont combattu, fusillés à Limoges,
les Espagnols José, Francisco et Ramon
avec leur chef Miguel Lopez, le compagnon
qu’on appelait Vidal au camp du bois des Loges.
 
Wolf, un Juif polonais et son neveu, Maurice,
Sont tombés le sept juin en attaquant Guéret.
Schimberg, du Luxembourg, a subi le supplice
à Combeauvert de Janaillat, deux jours après.
 
L’Américain Aubrey fut fauché à Bétête
et Barbosa, le Portugais, à Montluçon.
Colomb fut massacré au Thouraud de la Feyte
Et la jeune Kravitch en fuyant Aubusson.
 
Nous honorons ces morts pour notre noble cause,
et tous les disparus dans les camps allemands ;
S’ils n’ont pas de tombeaux où déposer des roses,
il nous reste leurs noms gravés aux monuments.
 

Marc PARROTIN

Les Justes

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Assemblage de dessins illustrant Alfred DREYFUS avant et après sa condamnation ; Madame DREYFUS en arrière-plan.

Préambule

En octobre 1894, le capitaine DREYFUS, accusé d'avoir livré des renseignements à l'ennemi, fut sommairement jugé par le Conseil de guerre et injustement condamné à la dégradation militaire et à la déportation à vie à l'île du Diable. Malgré les risques encourus, des partisans courageux, parmi lesquels l'écrivain Emile ZOLA, s'employèrent à le défendre, dans un contexte où le simple fait d'être juif constituait en soi une accusation et un facteur de culpabilité.

Au cours des décennies qui suivirent, ces flambées d'antisémitisme s'accentuèrent pour atteindre, durant la seconde guerre mondiale, les plus hauts sommets de l'horreur.
Dans la France de PÉTAIN, des lois détruisant les valeurs républicaines furent dirigées contre les Juifs. Mais là encore il se trouva des hommes et des femmes d'exception qui, au péril de leur vie, recueillirent et aidèrent ces personnes en danger.
Grâce à ces actes de résistance, les trois-quarts des Juifs menacés de mort purent être sauvés en France. Petit-neveu du capitaine DREYFUS, Yves DUTEIL nous explique qui sont "Les Justes" – ainsi nomme-t-on ces sauveurs :

"Qui sont "Les Justes "? Ce sont des personnes qui, pendant la seconde guerre mondiale, ont risqué leur vie pour sauver des Juifs.
L'un d'entre eux, André Trocmé, pasteur du village du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) où furent abrités 5 000 Juifs, dont de nombreux enfants, déclarait : "Nous ignorons ce qu'est un Juif, nous ne connaissons que des hommes."
Depuis 1964, le Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem (Israël), a attribué la médaille de "Juste parmi les Nations" à 20 000 personnes en Europe.
Pour chacun, un arbre est planté à Jérusalem, dans l'allée des Justes. A Paris, le 14 juin 2006, pour rendre hommage aux 2 700 Justes de France, le Mur des Justes a été inauguré au Mémorial de la Shoah, où sont gravés les noms des 76 000 Juifs de France déportés pendant la seconde guerre mondiale. Mais beaucoup de Justes restent encore anonymes.
"

Poème

En ces temps de malheur où, dans toute l'Europe,
Les nazis conduisaient les enfants d'Israël
Vers les fours crématoires,
Des êtres d'exception, valeureux philanthropes,
Combattirent en chœur ces actes démentiels
Qui ternissent l'Histoire.

Les Justes… les Justes…
Ils n'étaient pas organisés,
Mais d'un mouvement spontané
Ils s'employèrent à aider
Les persécutés par milliers…
Les Justes… les Justes…

Certains de leurs aïeux périrent aux galères,
Guerres de religion en étaient le motif,
Quand vint l'Edit de Nantes…
Mais on le révoqua, les traques perdurèrent…
Hier les Huguenots et aujourd'hui les Juifs,
Dans la même épouvante !

Les Justes… les Justes…
Bien que d'horizons différents,
Parpaillots, athées ou croyants
Refusèrent d'un seul élan
Le massacre des Innocents,
Les Justes… les Justes…

Leur combat se voulait avant tout pacifique.
Point de champs de bataille où tonnent les canons,
Point non plus de fusils !
Et l'on vit s'opposer aux forces diaboliques
(Comme ce fut le cas au Chambon-sur-Lignon)
Les armes de l'Esprit.

Les Justes… les Justes…
Ils connaissaient chaque recoin
De leur région, chaque chemin,
Et agissaient main dans la main
Pour la conspiration du Bien,
Les Justes… les Justes…

Au mépris du danger, des troupes hitlériennes,
Des suppôts de Pétain et de la Gestapo,
Cependant vigilants,
Les Justes du pays abusèrent sans haine,
Des villages creusois aux fermes du Plateau,
L'ennemi triomphant.

Les Justes… les Justes…
Sereinement, jour après jour,
Sans que ne déviât leur parcours,
Prenant la violence à rebours,
Ils dispensèrent leur amour,
Les Justes… les Justes…

On n'a point oublié ces hommes et ces femmes
Repoussant la Shoah, au péril de leur vie,
Et à Jérusalem
L'Etat israélien entretient une flamme
Où les sauveurs des Juifs se trouvent réunis :
L'Institut Yad Vashem.

Les Justes… les Justes…
En ce siècle de déraison
Où se multiplient les tensions
Et s'exaspèrent les passions
Songeons aux Justes des Nations
Aux Justes…. les Justes.



Jean-Michel Auxiètre

RÉSISTANCES

Hommage aux Résistants

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Jean MOULIN

Hommage aux résistants, Préambule

Inspecteur d'Académie retraité, chargé de mission au ministère de l'Éducation Nationale et boursier de l'UNESCO, Yvan GERMAIN était une des figures les plus représentatives de la résistance creusoise. Il fut, en 1943, chef de la section de commandement du secteur de Bourganeuf. Homme d'action et de terrain, mais aussi poète à ses heures, il commit, sur la Résistance, d'excellents textes qu'hélas il n'a pas souhaité divulguer. Il disait "qu'il eût été indécent d'écrire son nom dans la poussière des amis morts au combat". Il nous a toutefois confié un de ses écrits qu'il a enregistrés lui-même, afin que les maquisards et les hommes de l'ombre soient célébrés par un des leurs.

Ecoutons, dit par son auteur, ce poème d'Yvan GERMAIN :

Gloire à tous

Gloire éternellement à ceux qui sont tombés !
Déjà, comme un miracle infini de la plaine,
Souffle sur les sillons la vigoureuse haleine
Qui berce la blondeur sommeillante des blés.
Déjà la faux s'apprête et de mâles fiertés
Passent dans les regards des maîtres de domaines.
Sous les porches ombreux où frémissent des chaînes,
La voix des angélus réfléchit ses clartés.
Gloire à ceux qui sont morts pour que s'aiment leurs frères !
Pour étouffer le mal ! Pour que le cœur des mères
Ne se déchire plus ! Pour sécher le marais !
Gloire à tous ces vaillants tombés dans l'aventure,
A ceux dont le sang neuf féconda l'emblavure,
Gloire à ceux qui sont morts pour que vive la paix !
Préambule et poème
Lucie AUBRAC
Résistante française pendant la Seconde Guerre Mondiale
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Résistants de la 2ème guerre Mondiale dans la région d'Huelgoat

Poème

La Gestapo rôdait dans les longs couloirs sombres
Où l'on pouvait entendre hurler les suppliciés.
Une brute casquée projeta hors de l'ombre
Sur les manteaux de cuir un homme ensanglanté.

Ils l'emmenèrent au camion
Qui les attendait dans le froid.
Cela se passait à Lyon
Durant l'année quarante-trois.

 Jean Moulin ne fit pas long feu en Allemagne.
Torturé, il ne put supporter le transfert.
On l'avait dénoncé. Du fond de leur campagne,
Ses amis résistants, prompts, se mobilisèrent…

Et ils traquèrent l'occupant
De dynamitage en maquis,
De leur famille s'échappant
Pour que soit libre leur pays.

Un élan de révolte animait les consciences.
Œil pour œil, dent pour dent, dure loi du talion !
Les nazis, plus que tout, du mal avaient la science,
Et sublimaient l'horreur, défiant la raison.

Georges Guingouin, Lucie Aubrac,
Marc et Yves Tolédano
Et tous les réfractaires, en vrac,
Ne connurent point de repos.

Se présentaient parfois, en ces temps misérables
Où sévissaient de front tortionnaires et salauds,
Des éléments de cœur, des hommes remarquables,
Rebelles aux ordres fous, échappés du troupeau.

L'armée allemande vit rouge
Quand elle sut que le Père Alfred,
Le fameux "Franciscain de Bourges"
Aux résistants venait en aide.

On ne peut, pour autant, se bercer de chimères.
De tels soldats, hélas, ne courent pas les rues !
On répète souvent que les hommes sont frères,
Oui, mais le lendemain, ils se tirent dessus…

Les combattants qui, chaque jour,
Laissent leur vie dans ces bourbiers
Disent au monde que l'amour,
L'amour seul, pourrait nous sauver...

Cependant dans le monde perdure le manège,
Au fond de leur cachot des résistants périssent
Pour avoir prononcé – ultime sacrilège –
Ce seul mot : "Liberté !", enjeu du sacrifice…

 

Jean-Michel AUXIÈTRE

Une voix venue de Londres

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Pierre BOURDAN

Une voix venue de Londres, Prologue

Personne d'autre que Madame Hélène VERCORS-BOURDAN, ancienne sociétaire de la Comédie Française et veuve du grand résistant que fut Pierre BOURDAN, n'était mieux placée pour évoquer l'action de l'homme prestigieux qui séjourna en Creuse dans sa jeunesse, et dont le département s'enorgueillit de conserver mémoire et souvenir :

" Né à Perpignan le 13 mai 1909, mon mari, creusois d'adoption, se rendit célèbre par son action durant la seconde guerre mondiale. De juillet 1940 à juin 1944, il anima sur l'antenne de Radio-Londres, auprès du général De GAULLE, les émissions de la France combattante "Les Français parlent aux Français".

Il fut également correspondant de guerre auprès de la 2ème DB du général LECLERC et participa, le 25 août 1944, à la libération de Paris, après avoir été fait prisonnier à Rennes par une arrière-garde ennemie et s'être évadé du convoi allemand qui le transportait.

Député de la Creuse puis de Paris, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres et chargé des services de l'Information, il rétablit la liberté de la presse, supprimant "l'autorisation préalable" et garantissant l'indépendance économique des entreprises de presse.
Dans le domaine des arts et des lettres, il institua "l'aide à la première pièce" en faveur des auteurs dramatiques.

Il mourut prématurément à l'âge de 39 ans, au cours d'une promenade en mer.
Son passage en Creuse est marqué par l'appellation du lycée de Guéret et d'un studio de "France Bleu Creuse" qui portent son nom, ainsi que la statue érigée au village du Bourg-d'Hem."
Poème
Musique composée par les collégiens de Françoise-Dolto
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Le Général GIRAUD, le Président ROOSEVELT, le Général De GAULLE et le Premier ministre CHURCHILL à Casablanca

Poème

1
Sur les bords de la Creuse, à deux pas de Guéret,
Se niche, dans un cadre authentique et discret,
Le Bourg d’Hem, village éponyme,
En souvenir duquel un certain Pierre Maillaud,
Journaliste, écrivain et homme de radio,
Prit le nom comme pseudonyme.

2
A diverses reprises, enfant, adolescent,
Celui qui, bien plus tard, deviendra Pierre Bourdan
Hôte, dans l’ancien presbytère,
De Raymond Christoflour, un ami du papa,
Parmi les membres de sa famille coula
Des jours heureux qui le marquèrent.

3
Brillant, intelligent, actif et cultivé,
Doté d’une très forte personnalité
Et d’un bel esprit d’entreprise,
Le jeune journaliste de l’Agence Havas
Abandonna Paris où il manquait d’espace,
Préférant Londres et la Tamise.

4
Puis la guerre éclata et l’on vit le pays
Plier sous les assauts de la botte nazie,
Esclave devenait la France.
Gamelin renonçait .Pétain capitulait.
A Londres, Churchill et de Gaulle organisaient
Conjointement la Résistance.

5
Dans l’espoir d’éveiller un sursaut national,
Pierre Bourdan conforta l’appel du Général
- Dix-huit juin mil neuf cent quarante -
De la phrase et du verbe exprimant tout le poids,
Jonglant avec les mots et modulant sa voix
Face aux critiques aberrantes.

6
En effet, dans la France soumise, Bourdan
Et autres exilés n’étaient que dissidents
Coupables de planque et de fronde,
Et bien des braves gens se trouvaient dérangés
Par "la voix des Français qui parlent aux Français"
Et par cette guerre des ondes.

7
On devait, il est vrai, faire très attention
Avant de s’engager et d’entrer dans l’action,
La répression était féroce.
Faire de la Résistance n’avait rien d’anodin,
On pouvait échouer à Buchenwald demain,
Ce n’était pas un jeu de gosses.

8
Malgré tout, l’audience crût à la B.B.C.
" Le poison londonien " intoxiqua Paris et,
Et sans affectation aucune,
Rivalisa avec les radios allemandes,
Les hommes de Vichy, toutes les propagandes
Qui soutenaient la peste brune.

9
Dans les années quarante-deux quarante-trois,
L’ennemi tout-puissant taillait la part du roi,
Mais Pierre Bourdan et ses confrères,
Maurice Schumann, Duchêne, Oberlé, Jean Marin,
Dac, Lefèvre et Borel, vilipendant Pétain,
Ne se laissèrent point distraire.

10
La diffusion des " sanglots longs des violons"
Annonça l'imminence du jour le plus long.
L’occupation cédait, par bribes.
Pierre Bourdan rejoignit la division Leclerc
Et devint illico correspondant de guerre,
Serviteur de la France libre.

11
Intrépide, il affronta des péripéties,
Des dangers qui faillirent lui coûter la vie,
Puis rejoignit la capitale.
Derniers combats au sein de la 2e D.B.,
Reportage émouvant sur Paris libéré
Et sur l’Allemand qui détale.

12
Pierre Bourdan, ce grand chantre de la liberté,
En retrouvant la Creuse deviendra Député
D’une incomparable droiture.
Vivement encouragé par Edouard Herriot,
Il prêta son talent à différents journaux
Qui s'arrachaient sa signature.

13
Puis, en tant que Ministre, sa remarquable action
Déverrouilla le monde de l'Information
Qu'une censure sans faiblesse
Soumettait à l'autorisation préalable.
Bourdan la supprima, rétablit, intraitable,
La vraie liberté de la presse.

14
Par un jour de malheur sa barque chavira,
Mais jamais son trou dans l'eau ne se referma,
N'en déplaise à Dame Faucheuse.
Ici, son souvenir ne s'est point estompé :
Il y a sa statue, son buste, son lycée,
Son studio à France-Bleu Creuse…


Jean-Michel AUXIÈTRE

Adolfo KAMINSKY

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Adolfo KAMINSKY

Ballade pour Adolfo Kaminsky, Préambule

Dès l'âge de 17 ans, Adolfo KAMINSKY devient l'expert en faux papiers de la Résistance à Paris.
Durant trente ans, il exécutera ce méticuleux travail de faussaire pour de nombreuses causes, en apparence contradictoires, mais jamais pour son propre intérêt et toujours en rapport avec de profondes convictions humanistes.
La Résistance, l'émigration clandestine des rescapés des camps avant la création d'Israël, le soutien au FLN, les luttes révolutionnaires d'Amérique du Sud, les guerres de décolonisation d'Afrique, l'opposition aux dictateurs d'Espagne, du Portugal et de Grèce, sont autant de combats pour lesquels il s'est engagé, au risque de sa vie et au prix de nombreux sacrifices.

La ballade qui lui est dédiée s'inspire de l'ouvrage "Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire" écrit par sa fille Sarah, pour des raisons et dans des conditions qu'elle expose avec émotion :

"Il me fallait écrire ce livre, vite. Avant qu'il ne soit trop tard. Pour que mon père ne s'éteigne pas avec ses secrets, avec son histoire, pour que les énigmes de sa vie ne restent pas sans réponse. Il m'a fallu deux ans d'enquête et une vingtaine d'interviews pour faire la connaissance d'Adolfo KAMINSKY, moi qui ne connaissais que "papa".
Décoder les silences, percevoir entre les notes de ses récits monocordes ce qu'il ne dit pas avec des mots, comprendre les paraboles et trouver les messages enfouis sous les successions d'anecdotes qui ont rempli mes cahiers.
Et il m'a fallu parfois le regard des autres sur lui pour comprendre ses choix, sa vie de faussaire, de clandestinité, ses engagements politiques, son incompréhension de la société et des haines qui l'encombrent, sa volonté de bâtir un monde de justice et de liberté.
"
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Adolfo KAMINSKY dans son laboratoire

Poème

L'ennemi a envahi Paris,
C'est l'occupation.
Les talons des soldats vert-de-gris
Martèlent les ponts.
Une mallette à la main,
L'homme glisse sans bruit
Et poursuit son chemin
Singulier dans la nuit,
Sa complice.
Contrôlé dans le métro,
Le cœur battant très fort
Devant le collabo,
Il a frôlé la mort,
Le supplice…
Apeuré, il se retrouve au fond
De son atelier,
Parmi les encres et les tampons
Et les faux papiers.

C'est Adolfo Kaminsky, le faussaire,
Celui qui, dans la clandestinité,
Fit de sa vie une superbe affaire :
Aider et sauver les persécutés.

Ce résistant de l'ombre n'avait,
Pour tout armement,
Qu'un talent généreux qui servait
Son art exigeant.
L'implacable identité
Menait droit au bourreau.
Ceux qui étaient visés
Devaient changer de peau
Au plus vite,
Et dénicher le sauveur,
Le trafiquant de noms
Qui, malgré ses frayeurs,
Créerait les conditions
De leur fuite.
Si tous les réchappés de l'horreur,
Par enchantement,
Pouvaient témoigner de leur bonheur,
Quel remerciement…

Pour Adolfo Kaminsky, le faussaire,
Celui qui, dans la clandestinité,
Fit de sa vie une superbe affaire :
Aider et sauver les persécutés.

Il est malaisé d'imaginer
L'ampleur du combat que,
Durant trente longues années,
Kaminsky mena.
Avec de faux documents
Mais une vraie ferveur
Il contra les tyrans,
Sinistres dictateurs
Bellicistes,
Et soutint les opprimés
A coups de faux tampons
Et de faux libellés
Mais de vraies convictions
Humanistes.
Son travail souterrain s'inscrivit
Dans un idéal
De justice et de liberté qui
Endigua le mal.

C'est Adolpho Kaminsky, le faussaire,
Celui qui, dans la clandestinité,
Fit de sa vie une superbe affaire :
Aider et sauver les persécutés.

Il importait d'expliquer comment
Mûrit ce destin,
De parler de ce passé normand,
Russe et argentin.
Celle qui s'y employa
Et aligna les mots
Se prénomme Sarah,
La fille d'Adolfo
(Bel hommage !)
Que cet homme de vertu
Restât sans vérité,
Ignoré, inconnu,
Anonyme, eût été
Fort dommage.
Son parcours éclairera les jeunes générations
Qui se souviendront et de son œuvre et de son nom.
 

Jean-Michel AUXIÈTRE

COMBATTRE POUR UNE FRATERNITÉ

Penser... Résister... Militer... Agir...

 

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Le DALAÏ LAMA (1935), chef temporel et spirituel des Tibétains depuis 1950,
Prix Nobel de la Paix en 1989 pour avoir œuvré constamment à la résolution
du conflit sino-tibétain par la non-violence.


"Si, dans le monde entier, les chefs d’État se rappelaient que nous sommes tous des êtres humains, notre planète en serait transformée."

Dalaï Lama

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Abdennour BIDAR (1971), philosophe et essayiste

"Je plaide pour que nous donnions à la fraternité la dignité politique qui lui revient, c’est-à-dire pour que nous installions enfin la fraternité dans une grande institution républicaine."

Abdennour BIDAR

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« Combattantes de l’ombre »

Vidéo : Femmes dans la guerre d'Algérie : portrait de deux combattantes de l’ombre…

Combattantes de l'ombre

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Georges-Emmanuel CLANCIER (1914-2018), écrivain et poète, porte-voix privilégié de la Résistance littéraire.


Durant la deuxième guerre mondiale, G.E. CLANCIER appartient à cette génération d’écrivains qui se regroupent en revues pour organiser la « résistance de l’esprit » et de l’humain face à la barbarie.

La revue Fontaine, du poète Max-Pol FOUCHET, basée à Alger, est avec Poésie 41 de Pierre SEGHERS et Confluences de René TAVERNIER, un des porte-voix de la Résistance littéraire.

Georges-Emmanuel CLANCIER

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Alain ROUDIER

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Gérard PALLEAUX

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Edgard MORIN (1921), sociologue et philosophe

"Éduquer à la Paix pour résister à l’esprit de guerre"

Edgar MORIN

Article Tribune du Monde du 20 octobre 2012
https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/02/07/peut-on-prevenir-la-formation-du-fanatisme_4860871_3232.html 


Tribune Edgar MORIN

« Eduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre »

Sociologue et philosophe

"Nul ne naît fanatique, rappelle le sociologue et philosophe.

Pour empêcher le basculement dans la radicalité, l’enseignement devrait œuvrer sans relâche à délivrer la connaissance et à repérer les illusions."

Publié le 05 février 2016

Par Edgar Morin, sociologue et philosophe
La première déclaration de l’Unesco à sa fondation avait indiqué que la guerre se trouve d’abord dans l’esprit, et l’Unesco a voulu promouvoir une éducation pour la paix. Mais en fait, il ne peut être que banal d’enseigner que paix vaut mieux que guerre, ce qui est évident dans les temps paisibles. Le problème se pose quand l’esprit de guerre submerge les mentalités. Eduquer à la paix signifie donc lutter pour résister à l’esprit de guerre.

Cela dit, en temps même de paix peut se développer une forme extrême de l’esprit de guerre, qui est le fanatisme. Celui-ci porte en lui la certitude de vérité absolue, la conviction d’agir pour la plus juste cause et la volonté de détruire comme ennemis ceux qui s’opposent à lui ainsi que ceux qui font partie d’une communauté jugée perverse ou néfaste, voire les incrédules (réputés impies).


Une structure mentale commune

Nous avons pu constater dans l’histoire des sociétés humaines de multiples irruptions et manifestations de fanatisme religieux, nationaliste, idéologique. Ma propre vie a pu faire l’expérience des fanatismes nazis et des fanatismes staliniens. Nous pouvons nous souvenir des fanatismes maoïstes et de ceux des petits groupes qui, dans nos pays européens, en pleine paix, ont perpétré des attentats visant non seulement des personnes jugées responsables des maux de la société, mais aussi indistinctement des civils : fraction armée rouge de la « bande à Baader » en Allemagne, brigades noires et brigades rouges en Italie, indépendantistes basques en Espagne.

Le mot de « terrorisme » est à chaque fois employé pour dénoncer ces agissements tueurs, mais il ne témoigne que de notre terreur et nullement de ce qui meut les auteurs d’attentats. Et surtout, si diverses soient les causes auxquelles se vouent les fanatiques, le fanatisme a partout et toujours une structure mentale commune.
C’est pourquoi je préconise depuis vingt ans d’introduire dans nos écoles, dès la fin du primaire et dans le secondaire, l’enseignement de ce qu’est la connaissance, c’est-à-dire aussi l’enseignement de ce qui provoque ses erreurs, ses illusions, ses perversions.

Car la possibilité d’erreur et d’illusion est dans la nature même de la connaissance. La connaissance première, qui est perceptive, est toujours une traduction en code binaire dans nos réseaux nerveux des stimuli sur nos terminaux sensoriels, puis une reconstruction cérébrale. Les mots sont des traductions en langage, les idées sont des reconstructions en systèmes.

Réductionnisme, manichéisme, réification

Or, comment devient-on fanatique, c’est-à-dire enfermé dans un système clos et illusoire de perceptions et d’idées sur le monde extérieur et sur soi-même ? Nul ne naît fanatique. Il peut le devenir progressivement s’il s’enferme dans des modes pervers ou illusoires de connaissance. Il en est trois qui sont indispensables à la formation de tout fanatisme : le réductionnisme, le manichéisme, la réification. Et l’enseignement devrait agir sans relâche pour les énoncer, les dénoncer et les déraciner. Car déraciner est préventif alors que déradicaliser vient trop tard, lorsque le fanatisme est consolidé.

La réduction est cette propension de l’esprit à croire connaître un tout à partir de la connaissance d’une partie. Ainsi, dans les relations humaines superficielles, on croit connaître une personne à son apparence, à quelques informations, ou à un trait de caractère qu’elle a manifesté en notre présence. Là où entre en jeu la crainte ou l’antipathie, on réduit cette personne au pire d’elle-même, ou, au contraire, là où entrent en jeu sympathie ou amour, on la réduit au meilleur d’elle-même. Or, la réduction de ce qui est nôtre en son meilleur et ce qui est l’autre en son pire est un trait typique de l’esprit de guerre et il conduit au fanatisme.

La réduction est ainsi un chemin commun à l’esprit de guerre et surtout à son développement en temps de paix, qui est le fanatisme.

Un idéal de consommation,
de supermarchés,
de gains, de productivité, de PIB
ne peut satisfaire
les aspirations les plus profondes
de l’être humain
qui sont de se réaliser comme personne
au sein d’une communauté solidaire.


Le manichéisme se propage et se développe dans le sillage du réductionnisme. Il n’y a plus que la lutte du Bien absolu contre le Mal absolu. Il pousse à l’absolutisme la vision unilatérale du réductionnisme, il devient vision du monde dans laquelle le manichéisme aveugle cherche à frapper par tous les moyens les suppôts du mal, ce qui, du reste, favorise le manichéisme de l’ennemi. Il faut donc pour l’ennemi que notre société soit la pire, et que ses ressortissants soient les pires, pour qu’il soit justifié dans son désir de meurtre et de destruction. Il advient alors que, menacés, nous considérons comme le pire de l’humanité l’ennemi qui nous attaque, et nous entrons nous-mêmes plus ou moins profondément dans le manichéisme.

Il faut encore un autre ingrédient, que sécrète l’esprit humain, pour arriver au fanatisme. Celui-ci peut être nommé réification : les esprits d’une communauté sécrètent des idéologies ou visions du monde, comme elles sécrètent des dieux, qui alors prennent une réalité formidable et supérieure. L’idéologie ou la croyance religieuse, en masquant le réel, devient pour l’esprit fanatique le vrai réel. Le mythe, le dieu, bien que sécrétés par des esprits humains deviennent tout-puissants sur ces esprits et leur ordonnent soumission, sacrifice, meurtre.

Tout cela s’est sans cesse manifesté et n’est pas une originalité propre à l’islam. Il a trouvé depuis quelques décennies, avec le dépérissement des fanatismes révolutionnaires (eux-mêmes animés par une foi ardente dans un salut terrestre), un terreau de développement dans un monde arabo-islamique passé d’une antique grandeur à l’abaissement et à l’humiliation. Mais l’exemple de jeunes Français d’origine chrétienne passés à l’islamisme montre que le besoin peut se fixer sur une foi qui apporte la Vérité absolue.

« La connaissance de la connaissance »

Il nous semble aujourd’hui, plus que nécessaire, vital, d’intégrer dans notre enseignement dès le primaire et jusqu’à l’université, la « connaissance de la connaissance », qui permet de faire détecter aux âges adolescents, où l’esprit se forme, les perversions et risques d’illusion, et d’opposer à la réduction, au manichéisme, à la réification une connaissance capable de relier tous les aspects divers, voire antagonistes, d’une même réalité, de reconnaître les complexités au sein d’une même personne, d’une même société, d’une même civilisation. En bref, le talon d’Achille dans notre esprit est ce que nous croyons avoir le mieux développé et qui est, en fait, le plus sujet à l’aveuglement : la connaissance.

En réformant la connaissance, nous nous donnons les moyens de reconnaître les aveuglements auxquels conduit l’esprit de guerre et de prévenir en partie chez les adolescents les processus qui conduisent au fanatisme. A cela il faut ajouter, comme je l’ai indiqué (Les sept savoirs nécessaires à la connaissance), l’enseignement de la compréhension d’autrui et l’enseignement à affronter l’incertitude.

Tout n’est pas résolu pour autant : reste le besoin de foi, d’aventure, d’exaltation. Notre société n’apporte rien de cela, que nous trouvons seulement dans nos vies privées, dans nos amours, fraternités, communions temporaires. Un idéal de consommation, de supermarchés, de gains, de productivité, de PIB ne peut satisfaire les aspirations les plus profondes de l’être humain qui sont de se réaliser comme personne au sein d’une communauté solidaire.

Avoir foi en l’amour et la fraternité

D’autre part, nous sommes entrés dans des temps d’incertitude et de précarité, dus non seulement à la crise économique, mais à notre crise de civilisation et à la crise planétaire où l’humanité est menacée d’énormes périls. L’incertitude sécrète l’angoisse et alors l’esprit cherche la sécurité psychique, soit en se refermant sur son identité ethnique ou nationale, puisque le péril est censé venir de l’extérieur, soit sur une promesse de salut qu’apporte la foi religieuse.

C’est ici qu’un humanisme régénéré pourrait apporter la prise de conscience de la communauté de destin qui unit en fait tous les humains, le sentiment d’appartenance à notre patrie terrestre, le sentiment d’appartenance à l’aventure extraordinaire et incertaine de l’humanité, avec ses chances et ses périls.

C’est ici que l’on peut révéler ce que chacun porte en lui-même, mais occulté par la superficialité de notre civilisation présente : que l’on peut avoir foi en l’amour et en la fraternité, qui sont nos besoins profonds, que cette foi est exaltante, qu’elle permet d’affronter les incertitudes et refouler les angoisses.

Edgar MORIN (Sociologue et philosophe)